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Avec Rian Johnson, «Star Wars» prend un peu d’auteur

Avec Rian Johnson, «Star Wars» prend un peu d’auteur

Surtout connu du grand public pour avoir réalisé «Looper» il y a cinq ans, le cinéaste américain est avec J.J. Abrams l’homme fort du renouveau de la saga, dont le 8e volet, «les Derniers Jedi» sort ce mercredi dans les salles.

« Je n’ai pas envie de parler de ces conneries de voyage dans le temps. Si on commence, on va finir par y passer toute la journée. » Dans « Looper », troisième film de Rian Johnson sorti en 2012, Bruce Willis défend cette approche originale des paradoxes spatio-temporels. Venu du futur, l’acteur s’adresse dans cette scène à lui-même. Ou plutôt à une version de lui-même avec 30 ans de moins au compteur et quelques cheveux en plus campé par Joseph Gordon-Levitt, l’un des acteurs fétiches de Johnson.

N’en déplaise à Bruce Willis, et en mettant de côté les éventuelles ruptures du continuum espace-temps qu’une telle rencontre pourrait générer, imaginer la même scène entre le Rian Johnson de 2017 et celui qui a galéré pendant des années pour financer son premier film n’est pas sans éveiller une certaine curiosité. Que pourraient bien se dire le réalisateur des « Derniers Jedi » et l’étudiant derrière « Evil Demon Golfball From Hell ! ! ! » (littéralement « La Balle de golf démoniaque venue de l’enfer ! ! ! ») ? Quels sujets aborderait l’homme à la manœuvre derrière la prochaine trilogie « Star Wars » et le jeune cinéaste ayant du mal à trouver le demi-million de dollars pour financer son premier film ?Ils pourraient commencer par évoquer Silver Spring, ville de l’Etat du Maryland (Etats-Unis) où Rian Johnson a vu le jour il y a presque quarante-quatre ans, le 17 décembre 1973. Après un détour par le Colorado, les Johnson s’installent à San Clemente, petite ville californienne huppée située sur la Côte pacifique et très prisée des surfeurs. Mais les Johnson n’ont pas fait le déplacement pour faire du petit Rian un maître des rouleaux. Le fiston serait plus à ranger dans la catégorie des « geeks », comme il le reconnaît bien volontiers. « Dans « Star Wars », le personnage dont je me sentais le plus proche était Luke Skywalker. Han Solo était cool. Moi, je n’étais pas cool », nous expliquait-il le mois dernier lors de son passage à Paris.

Un « Star Wars » dans son salon

Plutôt que de passer son temps avec une planche au pied, Rian Johnson s’amuse avec une caméra à la main. Après avoir vu le premier « Star Wars » au cinéma à 4 ans, l’apprenti cinéaste a déjà la saga de George Lucas dans un coin de la tête. « Quand j’avais 8 ou 9 ans, je pouvais à peine soulever la caméra, qui devait être branchée au magnétoscope », raconte-t-il au Orange County Register en 2012.« Je l’ai prise et je l’ai tenue au ras du sol pendant que je courais entre le canapé et la table basse. Quand j’ai regardé ce que ça donnait, j’ai trouvé que ça ressemblait à la fin de Star Wars, lorsque les vaisseaux sont dans la tranchée de l’Etoile noire. Je suis devenu accro. J’avais fait Star Wars. »

Les années lycée derrière lui, Rian Johnson entre à l’Université de Californie du Sud (University of Southern California, USC), réputée pour son école de cinéma qui a compté parmi ses élèves un certain George Lucas. Dans le tête-à-tête entre le réalisateur actuel et son alter ego estudiantin, un nom viendrait sur le tapis : celui de Steve Yedlin. Rian Johnson croise son chemin en 1993. « On avait 18-19 ans. J’étais en terminale et lui en première année à USC. Tous les deux, on venait donner un coup de main pour un projet étudiant », se rappelle pour Le Parisien, Yedlin, déjà impressionné par les courts-métrages de son aîné : « Quand j’ai vu les courts-métrages qu’il avait déjà réalisés, j’étais soufflé. » Yedlin intégrera lui aussi USC, avec Rian Johnson comme colocataire. Ces deux admirateurs des frères Coen ne se lâcheront plus d’une semelle. Depuis leurs débuts, Rian Johnson n’a pas réalisé un film sans que Steve Yedlin n’ait la casquette de directeur de la photographie.

S’entourer de visages familiers est une constante chez le réalisateur. Comme Steve Yedlin, son producteur Ram Bergman est au générique de tous ses films. En plus de tenir le rôle principal dans « Brick » et « Looper », Joseph Gordon-Levitt fait une apparition furtive dans « Une arnaque presque parfaite », tout comme Noah Segan. Les deux comédiens auraient même droit à un caméo dans « Les Derniers Jedi ». Pour Johnson, liens d’amitié et relations de travail vont de pair, comme nous le confie Noah Segan lorsqu’il se souvient de son audition pour « Brick » : « La plupart du temps, on passe l’audition, on discute un peu avec le réalisateur, on s’en va et on prie pour que ça passe. Rian voulait juste parler et des semaines ont passé avant que passe l’audition. Il s’agissait surtout de devenir des amis. »

La longue gestation d’un premier film

Diplôme en main, Johnson s’attaque rapidement à l’écriture de son premier long-métrage. Le scénario de « Brick » est nourri par la lecture des livres de Dashiell Hammett, le pape du roman noir. Hammett a notamment signé « Le Faucon maltais », adapté au cinéma par John Huston avec Humphrey Bogart dans la peau du détective Sam Spade. « Pour coller au plus près à Hammett, Rian a d’abord écrit « Brick » sous forme de nouvelle », se rappelle Steve Yedlin.Des répliques matinées d’argot débitées à la vitesse d’une mitraillette, une intrigue alambiquée multipliant les fausses pistes, un détective sur la corde raide : tous les ingrédients du film noir sont bien au rendez-vous. Rian Johnson y apporte toutefois sa touche personnelle en situant son intrigue dans un lycée. Il tournera d’ailleurs « Brick » dans son ancien bahut de San Clemente.

« Tu vas devoir t’armer de patience », glisserait à ce moment de la conversation le Rian Johnson de 2017 à son cadet. Avant de pouvoir tourner son premier film, le jeune cinéaste va ronger son frein pendant plusieurs années. Pour mettre son projet en branle, il a besoin d’argent. Famille et amis sont mis à contribution pour réunir les 500 000 dollars nécessaires. En parallèle, Rian Johnson ne ménage pas sa peine, qu’il s’agisse de réaliser des spots promotionnels pour Disney Channel ou de travailler sur le montage d’un film d’horreur.Le tournage de « Brick » démarre enfin en 2003. Deux années supplémentaires seront nécessaires pour fignoler le montage et trouver un distributeur. « Un succès d’estime certes, mais qui te permettra de te faire un nom », dirait le Rian Johnson d’aujourd’hui au réalisateur débutant, qui se contenterait dès lors d’ouvrir grand les oreilles. Ce premier film offre à Rian Johnson un prix spécial du jury au festival de Sundance, la Mecque du cinéma indépendant américain.

Un détour par « Breaking Bad »

Pour « Une arnaque presque parfaite », sa deuxième bobine sortie en 2009 dans la veine de « L’Arnaque », avec Paul Newman et Robert Redford, le cinéaste s’entoure d’acteurs confirmés comme Adrien Brody, Mark Ruffalo et Rachel Weisz. Nouveau virage trois ans plus tard avec « Looper », premier succès commercial et pur film de science-fiction sur lequel plane l’ombre de Philip K. Dick. « Johnson touche à tous les genres, mais ce n’est pas pour les déconstruire selon une approche postmoderne. Quand il s’empare d’un genre, il l’embrasse totalement tout en y injectant un thème ou un personnage que lui seul peut imaginer », analyse Steve Yedlin.

Jonathan PIRIOU

décembre 12th, 2017

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