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Record. Coville : « François Gabart ne va quand même pas s’excuser…»

Record. Coville : « François Gabart ne va quand même pas s’excuser…»

Jusqu'à ce que François Gabart coupe la ligne d'arrivée, Thomas Coville était le recordman du tour du monde en solitaire. Son temps, établi, le 25 décembre 2016 a été pulvérisé, de près de six jours par le skipper de Macif. Beau joueur, Thomas Coville salue une performance "magistrale" et trouve dans cet exploit une nouvelle émulation.

Thomas Coville, comment appréciez-vous la performance de François Gabart, qui va battre votre record ?

Pour commencer, je veux dire une chose : je ne le connais pas très bien François Gabart. Mon regard est très humble et très respectueux vis-à-vis de sa performance. Quand il s’est élancé cette année pour battre notre record, il n’y avait aucun doute que lui, avec le bateau qu’il a, pouvait battre ce record. Mais je n’avais aucune idée de savoir si cela allait bien s’aligner pour lui ou pas. Car il y a trois paramètres : la météo, le skipper, et le bateau. Et tous les mecs qui diront qu’il a eu de la moule, tout ça, je dis d’acord, mais il faut déjà partir, tenter, y aller. Et c’est ce qu’il a falt.

Son temps de parcours vous étonne ?

Pour s’enlever de la pression, il avait dit que ce temps était imbattable etc. Mais ça, c’était un jeu de communication, pour lui, pour s’enlever de la pression. Mais quand il s’est élancé, lui, c’est un stratège incroyable… depuis deux ans il a une lecture du bateau qu’il fallait faire, du bon timing, au bon endroit. Être au rendez-vous à chaque fois, ça ne peut pas être que du hasard. C’est un athlète accompli, et mentalement super structuré, et quand tu poses les choses avec l’enthousiasme qu’il a, et qu’effectivement les choses s’enchaînent bien, ça devient magistral.

Vous n’êtes pas surpris par l’ampleur de l’écart avec vous qui aviez pourtant déjà placé la barre très haut ?

Après, il faudrait reprendre les temps de passage, et les étudier, ce que je n’ai pas eu le temps de faire. J’étais sur la Transat Jacques-Vabre pendant le début de sa tentative, puis sur le retour de la Jacques Vabre. Je n’ai pas été un expert quotidien. Mais les temps de référence qu’il a, qui sont au dessus de ceux que l’on avait établis avec Groupama 3, et de ceux de Banque Pop V… L’enchaînement qui’il a eu explique aussi ce décalage-là. …Et puis, il ne va quand même pas s’excuser d’avoir une super fenêtre, quand même, et c’est ça que j’ai envie de dire, dans la position dans laquelle je suis, on cherche à me faire dire que ce mec qui est brillant, sympa, qui a une bonne gueule, qui a un partenaire, fidèle, qui est au bon moment au bon endroit… il devrait s’excuser de gagner. Eh bien non, quand même, il ne va pas s’excuser en plus.

Ça ne remet pas en cause le niveau de votre propre performance de toute façon…

Moi j’ai eu un parcours différent et je suis très fier d’avoir mis 49 jours et 3 h, et ça me correspond très bien. François en a un autre, Francis Joyon, un autre Ellen MacArthur, encore un autre… et on n’enlèvera à personne son histoire. C’est un temps qui est associé à chaque histoire.

La performance de François Gabart correspond à une époque nouvelle ?

Ce qui se passe avec François, c’est que l’on arrive à une génération de bateaux qui va plus vite que le temps. Pas le temps qui passe, mais le temps qu’il fait. Et la, François matérialise bien cette nouvelle génération. Ce qui est très intéressant c’est que, notre sport, la voile, est en train de devenir un témoin sociétal de ce qu’est le sport moderne de demain. On est un concentré de ce qui se fait de mieux en aérodynamisme, en hydrodynamisme, en données numériques, en prévision météo etc. François arrive avec son bateau, son intelligence, et avec sa formation, dans le timing qui amorce la génération de la version 2 ou 3… Tout ceci prouve que l’on a eu raison, il y a un an, de prendre la décision de faire un nouveau bateau. Car, soit je m’arrêtais, soit on entrait dans cette nouvelle génération. François et Macif récupèrent les fruits d’être entrés en premier dans cette nouvelle génération.

Vous semblez bien vivre le fait de ne plus être titulaire de ce record finalement ?

Soit je le vis très bien et je continue d’être un athlète passionné par ce qu’il fait, je continue de me nourrir de tout ça, ou alors je me renferme sur moi-même, et j’arrête, tout simplement. Il n’y a pas d’alternative. Ton concurrent est ton meilleur maître pour progresser. Je n’ai d’ailleurs jamais regardé un concurrent autrement que de cette façon-là. Je n’aurais jamais pu faire de sport de contact. Avoir envie de péter la gueule à mon adversaire ce n’est pas dans ma nature. Mon adversaire c’est un curseur pour savoir à quel niveau je dois mettre mon niveau d’excellence, et là je dois dire que François Gabart, pour ça, c’est un putain d’adversaire (rires).

Quand vous aurez votre nouveau bateau, vous y retournerez sur ce record…

Quand j’ai décidé de construire un nouveau bateau, je me suis dit qu’il fallait mettre l’humain au centre du bateau, car c’est ça qui ferait la différence. Pas l’ingénieur, mais l’homme. Et j’en suis persuadé pour aller chercher des temps comme ça. Mais, on n’aura pas tous l’opportunité de le battre dès la première fois. Et il faudra accepter de recommencer, d’échouer, de repartir… et certains seront plus pugnaces que d’autres. Ce sera comme pour le saut à la perche. On le battra centimètre par centimètre. Mais est-ce que le record de Bubka sera moins beau que celui de Lavillenie ? Ben non… C’est le marqueur du temps qui est magnifique, et qui m’émeut. Maintenant, c’est à François de bien traduire cette histoire avec le grand public. Porter ce que tu fais, que ça résonne, c’est le plus important.

Jonathan PIRIOU

décembre 17th, 2017

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