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La voix d’Eugène Saccomano s’est éteinte

La voix d’Eugène Saccomano s’est éteinte

Le plus grand commentateur de football à la radio (Europe 1 puis RTL) vient de mourir, à l’âge 83 ans. Un mythe pour des générations de fans.
On aimerait le dire comme lui. Se lever, hurler dans les aigus, les suraigus, plutôt, «Oh noooooooonnnnn Eugèèèène!!!!!!». Eugène Saccomano est mort lundi à 83 ans, chez lui à Rueil-Malmaison, en région parisienne, après avoir été hospitalisé. C’était la voix du foot, plus encore pour ceux qui n’avaient pas les images. «On refait le match » sur RTL, après avoir longtemps oeuvré sur Europe 1.
Oeuvrer, c’est le mot. Car le journaliste originaire du Gard, avant d’animer les premiers talk-show foot, commentait surtout les matchs comme en Amérique du Sud. Des notes très longues, comme un chanteur d’opérette presque, à se casser la voix en plein vol, peut-être était-il le meilleur quand il devenait subitement inaudible. Il ne voyageait jamais sans une boîte de pastilles pour s’éclaircir la voix.

Il avait ses détracteurs pour son emphase mais surtout ses adorateurs. Quand l’OM gagne l’unique Ligue des Champions remportée par une équipe française en 1993, après un but de Basile Boli : « Ohhhhh. Oh Base ! ! ! Oh Base tu nous fais plaisir ! ! ! Sur un corner d’A-be-di-pe-lé ». Prononcez ce dernier nom le plus vite possible. Abedi Pelé. Saccomano, peut-être à cause de son propre nom en 4 syllabes, de ses origines solaires, de toutes ses années passées à Marseille comme correspondant d’Europe 1, avait la science des noms, courts ou longs, complets ou diminutifs, de « Base » à lui-même, « Sacco ».

On le suivait l’oreille collée au transistor

Pour des générations d’enfants, il a été un complice. Les soirs de matchs, il pouvait y avoir couvre-feu pour cause d’école le lendemain. Les coupes d’Europe, on les suivait sous les couvertures, l’oreille collée au transistor. Il ne fallait juste pas bondir avec « Sacco » quand il mimait une action dangereuse avec des crescendo de scène dramatique, de comedia dell’arte, car il en faisait beaucoup même sur des matchs de championnats, tant les mots tenaient pour lui de la régalade, du festin.

En 1952, il gagne devant… Thierry Roland

Il les malaxait, les savourait en bouche comme un bon vin, avant d’exploser. Il les écrivait aussi. Il avait publié un récit remarqué, « Goncourt 1932 », sur le jour où Louis-Ferdinand Céline avait perdu le prix au profit d’un écrivain aujourd’hui oublié, Guy Mazeline. Il avait aussi écrit sur Giono. Et sur les bandits marseillais, dont on dit qu’ils n’avaient pas de secret pour lui. Le film « Borsalino » est adapté de son livre « Bandits à Marseille ». Ce jouisseur n’était pas vraiment politiquement correct. Des affaires de prostitution dans le football ? « Tout le monde va voir des prostituées », lâche-t-il un soir sur un plateau télé.

Il avait de la bouteille et du ballon, pour avoir joué au Nîmes Olympique, son club de coeur, comme milieu offensif. Un chef d’orchestre. Mais sa vocation, c’est la radio, depuis qu’il a découvert à 15 ans qu’il dribblait tout le monde au commentaire. Il se présente au concours du meilleur radio-reporter sportif junior de France, organisé par L’Equipe Junior en 1952. Il gagne devant… Thierry Roland. Ils se partagent chacun un royaume : à l’un la radio, à l’autre la télé.

Mis à la retraite par Europe 1, recruté par RTL

En 2001, après plus de quarante ans de service, à 65 ans, il est mis à la retraite par Europe 1. RTL le recrute immédiatement. Eugène Saccomano n’a jamais occupé le banc des remplaçants puisqu’il avait aussi été conseiller municipal de 2001 à 2008 à La Garde-Freinet (Var), où il a passé ce dernier été, très affaibli. En 1998, «Sacco » avait crié «Zizou Zizou Zizou Zizou » à en perdre la voix, après le second but de la tête de Zidane face au Brésil. «La France entière est championne du monde », hurlait-il. Lui aussi il est mort «le plus tard possible », comme avait dit Thierry Roland, ce soir-là, à l’antenne. Quelqu’un a-t-il encore un transistor ?

Ce soir, on voudrait revenir dans les années 1970, quand Saccomano a poussé son premier hurlement, c’est lui qui l’a dit, au moment où Rocheteau a qualifié les Verts contre Kiev. Il savait aussi conclure. D’une voix soudain très basse. Ponctuée d’un silence. Les lumières du stade s’éteignent pour l’immense Eugène Saccomano.

Jonathan PIRIOU

octobre 7th, 2019

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