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Le monde de la culture pleure Jean d’Ormesson

Le monde de la culture pleure Jean d’Ormesson

DISPARITION – L'écrivain et académicien français est décédé dans la nuit de lundi à mardi à l'âge de 92 ans. De nombreuses personnalités du monde de la culture ont fait part de leur émotion et saluent la mémoire de cet homme élégant, cultivé et drôle.

C'était une personnalité exceptionnelle. Très présent dans les médias, et notamment au Figaro qu'il a dirigé trois ans dans les années 1970, Jean d'Ormesson était devenu une figure publique et pleine de vie. Il est décédé dans la nuit du 4 au 5 décembre d'une crise cardiaque à son domicile de Neuilly dans les Hauts-de-Seine.Sur les réseaux sociaux, sur les ondes des radios ou les plateaux des émissions de télévision, les messages de sympathie ont afflué mardi. Parmi les premiers témoignages, celui de sa fille, Héloïse d'Ormesson. L'éditrice a déclaré ressentir sur RTL «un vide immense, mais aussi une chance immense parce que j'avais un père magnifique qui m'a beaucoup, beaucoup apporté».  

La ministre de la Culture, Françoise Nyssen, a salué un homme qui «aimait jouer avec les mots et partager sa vision du monde avec humour». «Il va profondément nous manquer» a-t-elle ajouté.L'ancien ministre de la Culture, Jack Lang, a évoqué la figure du romancier au micro de Yves Calvi sur RTL: «Encore hier, avec des amis, nous parlions de lui. C'était une personne qui, malgré l'âge, est resté vif, élégant, combatif. Il continuait à écrire, à être, explique-t-il d'abord. Indépendamment de son œuvre littéraire et de ses combats journalistiques, il est un exemple pour nous tous. Il était un gourmand de la vie. Il en parlait avec des mots savoureux et sensuels, merveilleusement choisis. Quand on l'entendait, on le lisait, on se sentait toujours plus optimiste. C'est un exemple merveilleux pour tous ceux qui sont enclins à se plaindre de tout, à s'enfoncer dans la tristesse.»Un autre ancien ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand, a réagi sur BFMTV: «C'est un pan de la littérature française qui disparaît. Il a fait pour la lecture en France un travail fantastique. Il l'a rendue proche. Il donnait envie de lire même à des gens qui ne lisaient pas. C'est un magnifique héritage qu'il nous laisse. C'est une très grande perte».

«L'incarnation de l'esprit français»

L'académicien et ancien ministre, Xavier Darcos, regrette déjà cet homme bienveillant qui «incarnait à la fois l'esprit français bien évidemment mais aussi la vie elle-même le bonheur de vivre, la chance d'être au monde et l'idée qu'il l'ait quitté même s'il s'y préparait depuis longtemps par ses derniers livres me parait une sorte d'absurdité presque, c'est quelque chose de contradictoire avec ce qu'était Jean d'Ormesson»

L'académicienne Hélène Carrère d'Encausse a partagé sa peine dans un communiqué officiel. «C'est un jour terrible. Jean d'Ormesson est quelqu'un dont on n'imagine pas la mort» déclare celle qui avait sollicité l'Élysée pour que l'écrivain soit décoré de la grand-croix de la Légion d'Honneur. Avant de partager une anecdote mémorable, le «souvenir magnifique» du jour où son ami a accueilli Simone Veil à l'académie. «C'était un jour tout à fait extraordinaire parce qu'il était justement à la hauteur de l'événement, il a toujours été à la hauteur de l'événement, tout en le faisant avec légèreté et l'air de ne pas toucher qui était tout à fait exceptionnel. C'était son génie particulier»

Le romancier et académicien français Erik Orsenna a honoré la mémoire d'un «homme vivant , avec toutes les contradictions de la vie. C'est un homme avec des mots qui peuvent le résumer: c'est évidemment la littérature, c'est évidemment l'Italie, c'est évidemment la mer, la Corse, c'est évidemment Stendhal, Chateaubriand. Et puis c'est un homme de liberté, au-delà de toutes les familles». Le romancier note également l'immense culture de Jean d'Ormesson: «C'est vraiment la gloire de la culture générale parce que quand vous voyez ses livre, il y avait autant de science que de littérature. Donc arrêtons de dire qu'il y a des cultures littéraires, des cultures scientifiques. Il y a une seule culture, c'est celle de la curiosité. Et puis à l'Académie, ça va être un vide immense jeudi parce qu'il a été en face de moi pendant 19 ans. Juste en face. Jean-Marie Rouart à mes côtés on avait Jean juste en face qui était espiègle, qui nous envoyait des petits mots. Et quand il prenait la parole c'était à la fois infiniment érudit et extrêmement drôle.»

Bernard Pivot, sur RTL, a lui salué un homme de paradoxes. «Parce qu'il est de droite mais il était admiré par les gens de gauche, explique d'abord le journaliste. Alors il a révolutionné quelque chose, lui, le conservateur. Oui, c'est l'Académie française, car c'est lui qui a fait rentrer la première femme à l'Académie française, Marguerite Yourcenar, c'est lui. Vraiment il a insisté, il a tout fait pour qu'elle entre. Il y avait des oppositions féroces contre lui… Il y est arrivé avec subtilité, avec un art de la diplomatie probablement hérité de ses ancêtres…» Le journaliste tente ensuite d'expliquer les raisons de la bienveillance et la fascination qu'il exerçait. «C'était un hédoniste. Il a aimé à la folie, la littérature, l'histoire, la philosophie, les femmes, les voyages, la mer, les vacances. Et puis tout ce qui relève de la culture, l'esprit à la française, énumère Bernard Pivot. Vraiment il a aimé ça. Je crois que cette empathie qu'il suscitait et cette fascination qu'il exerçait, y compris sur des gens qui n'étaient pas de son bord, relevait justement de cet appétit de la culture…»

«Une sorte de Schweppes culturel»

François Busnel , le présentateur de La Grande Librairie sur France 5 a rendu hommage à un homme solaire. «Il représente la bienveillance, ce regard que l'aîné porte sur le cadet, surtout quand ce cadet est un peu perdu», a-t-il raconté avant d'expliquer que «l'autodérision était sa grande marque de fabrique». «Il disait: je suis devenu un écrivain, mais je suis surtout devenu une marque, une sorte de Schweppes culturel», rapporte Busnel.

Le directeur des rédactions du Figaro, Alexis Brezet a également réagi sur RTL «Jean n'a dirigé le Figaro que 2-3 ans dans les années 1970, mais pour tout le monde, il était le directeur pour l'éternité.» Le journaliste s'est ensuite remémoré une anecdote assez récente: «Il était venu représider une conférence du Figaro pour une émission de Laurent Delahousse qui le filmait. Donc on l'avait installé à la grande table de la conférence, il avait animé la conférence, c'était très sympathique et très émouvant, il y a quelques mois. Après je lui avais fait faire un tour dans la rédaction notamment dans la newsroom où il y a tous nos jeunes journalistes. À peine Jean était rentré dans cette newsroom qu'une nuée de jeunes journalistes est arrivée vers lui, tous pour faire des selfies, lui parler etc. Il était entouré de cette nuée de jeunes journalistes. Jean, c'était la jeunesse».

«L'incarnation de l'esprit français»

Sur Europe 1, l'ancien directeur du Figaro Franz-Olivier Giesbert a réagi, mardi matin, à la disparition de son ami. «Il avait une forte capacité d'admiration, ce qui ne l'empêchait pas d'être vraiment moqueur qui maniait l'ironie», explique le journaliste. «À la fois de culture extrême, parfois ça tournait vite à un concours de citations, mais qui avait une curiosité au monde, il s'intéressait à tout. On l'a trop enfermé dans la politique», regrette Franz-Olivier Giesbert, qui n'hésite pas dire que Jean d'Ormesson était «quelqu'un qui avait réussi à devenir l'incarnation de l'esprit français.»

Bernard Henri Levy a partagé un souvenir. «Je me souviens qu'à l'occasion de la remise à Jean d'Ormesson du prix Scopus de l'Université hébraïque de Jérusalem (avril 2013, ndlr), je lui avais souhaité de vivre 120 ans. C'est ainsi que les maîtres du Talmud se félicitent, entre eux, d'une belle et riche vie qui ne mérite que de continuer d'être».

Son éditeur Antoine Gallimard a lui aussi partagé un souvenir au micro d'Europe 1. Interrogé sur la réaction de Jean d'Ormesson quand ce dernier avait appris que son œuvre allait être publié dans la Pléiade, Antoine Gallimard raconte que l'académicien «s'inquiétait de savoir si c'était un vrai et un grand écrivain. “Peut-être qu'avec la Pléiade, j'ai une petite chance” disait-il. Il m'a regardé de ses beaux yeux, avec son beau sourire, et m'a dit “merci”». Son éditeur, qui lui parlait encore la semaine dernière, a aussi rappelé que l'œuvre d'Ormesson n'est pas tout à fait achevé. Gallimard publiera début 2018 le dernier conte philosophique de Jean d'Ormesson, «une invitation à trouver autre chose et à comprendre ensemble quelle est notre humanité, sans pleurer» dit-il.

«Il avait rajeuni en vieillissant»

Le romancier, metteur en scène et scénariste français Jean-Loup Dabadie a salué un ami de plus de 30 ans. «Je l'avais connu bien avant de rêver à l'Académie Française…Quand vous m'en parlez, je pense que c'est un peu de la jeunesse française qui s'est envolée…Il était d'une gaieté, d'une juvénilité, d'une agilité jusqu'au bout (…) Ma mémoire est arpentée par ce personnage, d'un feu. C'était un feu follet. … Il était en séance à l'Académie une mine d'or de citations… Il était un littéraire souple et rapide. C'était un homme pressé comme on les aime. Il prenait son temps pour les autres».

L'écrivain Jean-Christophe Rufin a réagi auprès de l'AFP: «Je suis très triste. Jean m'avait beaucoup soutenu à l'Académie, j'en parlais justement la semaine dernière à sa fille: “j'ai appris l'éloquence de ton père”. Il s'exprimait avec une vraie et constante élégance. Il était capable d'immense engagement».

Le journaliste Laurent Delahousse, ami de Jean d'Ormesson, qui avait pour projet la réalisation d'un film dont le premier rôle serait tenu par l'académicien. Projet qui ne verra malheureusement jamais le jour. Merci Jean de m'avoir tant appris», ecrit-il.

Jonathan PIRIOU

décembre 5th, 2017

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