Actu culturelle

Tombe celte de Vix : des archéologues fouillent dans le passé d’un célébrissime vase grec

Tombe celte de Vix : des archéologues fouillent dans le passé d’un célébrissime vase grec

Depuis les années 1920-1930, les érudits locaux se demandaient les raisons de la présence, dans un champ, de nombreuses pierres étrangères au site. En janvier 1953, un enseignant en philosophie et archéologue à ses heures, René Joffroy, et un agriculteur, Maurice Moisson, entreprennent des fouilles sous la neige et la pluie. Ils butent alors sur ce qui va se révéler être l’anse d’un grand vase grec (appelé cratère par les spécialistes). Ils mettent ainsi à jour la tombe d’une femme celte d’environ 40 ans reposant sur un char dont les roues ont été démontées.

Celle que l’on va appeler la “dame de Vix” est parée de somptueux bijoux. A commencer par un torque (collier) en or pesant 480 g. Mais c’est évidemment le vase en bronze, haut de 1,64 m et apparemment fabriqué à Tarente (colonie grecque dans le sud de l’Italie), qui retient d’abord l’attention. Dans sa hauteur, il est décoré d’une frise où l’on observe un défilé de guerriers, de chevaux et de chars. Tandis que des représentations de gorgones (monstres mythologiques) forment ses anses. On a également trouvé sur place une coupe en argent partiellement plaquée d’or, une cruche et des bassins (récipients creux) en bronze… Tous ces objets sont aujourd’hui présentés au musée du Pays châtillonais-Trésor de Vix à Châtillon-sur-Seine.

Et le contexte dans tout ça ?

“Les fouilles de 1953 ont permis de sortir ces objets de la terre. Elles ont fait la couverture de Paris-Match, elles ont eu une répercussion mondiale. La Poste en a tiré un timbre grand format. Mais cette opération pionnière, menée dans de mauvaises conditions, n’a duré que deux mois là où aujourd’hui, l’on en mettrait six. Par la suite, on a idéalisé et imaginé la tombe à partir d’éléments réels, oubliant ainsi le contexte du site (classé monument historique en 2015, NDLR). Aujourd’hui, il s’agit précisément de lui redonner un contexte”, souligne Dominique Garcia, président de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) et universitaire spécialiste du monde celtique. Les nouvelles fouilles, menées par l’Inrap, doivent durer jusqu’en novembre 2019.

“On ne connaît pas l’ampleur de l’opération de 1953. On ne sait pas si la tombe a été entièrement fouillée. Les documents de l’époque, notamment les photos, sont difficilement exploitables”, explique Bastien Dubuis, responsable des fouilles en 2019, qui a également dirigé les recherches autour de la tombe du “prince de Lavau” dans l’Aube. La sépulture de Vix devait mesurer 3 m sur 3 sans qu’on connaisse exactement sa profondeur. Des éléments de bois ayant été aperçus en 1953, on pense qu’un coffrage de bois devait recouvrir l’intérieur. “Le lieu n’avait pas d’entrée. Il était scellé pour l’éternité”, pense l’archéologue. Pour l’instant, on n’en sait guère plus…

On sait cependant que la situation de la tombe n’était pas liée au hasard. Placée dans un endroit plat, en bordure de Seine, au pied du mont Lassois (colline d’une centaine de mètres de haut), elle était là pour être vue. D’où son importance. A l’époque, les inhumations dans la région se faisaient sous des tertres artificiels (tumulus). A Vix, le tumulus, qui faisait peut-être 6 à 8 m de haut, était recouvert de pierres, toutes apportées spécialement pour sa construction. Par la suite, le site, d’une superficie de 2000 m², a pu servir de carrière dès l’Antiquité. “La tombe est arasée depuis fort longtemps. Ce qui a sans doute permis de la sauver”, constate Bastien Dubuis. Elle n’a en effet pas été pillée.

Haute technologie

Les archéologues s’interrogent sur la présence d’un curieux aménagement quadrangulaire en pierre sèche qui fait face au mont Lassois. S’agit-il des traces d’un podium dédié comme à Lavau à la cérémonie funéraire, de celles d’un tumulus primitif ? Beaucoup de questions, peu de réponses…

Des clous en bronze, semblables aux éléments de décor du vase grec et sans doute oubliés en 1953, ont par ailleurs été retrouvés dans des remblais. Est-on à l’aube de nouvelles découvertes exceptionnelles ? Les archéologues l’excluent.

Pour le reste, on répétera que la tombe était faite pour être vue. Son contenu, à commencer par son cratère, était lui aussi fait pour frapper les esprits. Probablement destiné au banquet, tradition issue du monde grec, cet objet exceptionnel devait contenir du vin, boisson alors évidemment très rare dans ces contrées. “C’est un produit de haute technologie. A tel point qu’aujourd’hui encore, les chaudronniers se demandent comment leurs prédécesseurs antiques ont fait !”, commente Catherine Monnet, conservateure du musée du Pays châtillonnais.

“Un tel élément, d’une qualité que l’on ne retrouve pas ailleurs dans le monde grec, devait être en quelque sorte du sur-mesure. Il s’agissait d’un cadeau destiné à impressionner ceux qui le recevaient. Un cadeau qui renforçait le pouvoir du destinataire et qui en faisait un obligé. C’était un objet de prestige qui pouvait aussi servir à sceller une amitié entre peuples”, observe de son côté Dominique Garcia. La finesse et la beauté des autres objets, notamment celle du torque en or, montrent également qu’ils ont, eux aussi, été fabriqués par des artisans de très haut niveau.

Monumental”

Si le contexte de la fouille de 1953 n’est pas encore connu, l’arrière-plan historique commence à l’être grâce notamment aux fouilles entreprises dans la région, et ailleurs en Europe. Elles ouvrent des perspectives étonnantes. Entre 550 et 450 avant notre ère, Vix semble avoir été un Etat émergent au sein d’un réseau d’une dizaine d’autres (certains parlent d’une trentaine), dans une zone s’étendant grosso modo de Bourges (Cher) à l’Autriche, voire à la République tchèque. Dans ces cités-Etats, éloignés d’une soixantaine de kilomètres les unes des autres, “a émergé un phénomène urbain avec des rues, des milliers d’habitants, des remparts immenses et une hiérarchie dans l’habitat”, résume Dominique Garcia. Un phénomène aujourd’hui appelé “civilisation de Hallstatt”, du nom d’un site autrichien, également caractérisée par ces tombes princières.

Vix est un excellent exemple de cette civilisation. “Tout y était monumental”, souligne Bruno Chaume, chargé de recherches au CNRS. La cité était ainsi entourée de remparts longs de plusieurs kilomètres et qui pouvaient atteindre 10 m de haut, avec des fossés de 10 m de profondeur ! “Elle s’étendait sur environ 45 ha. Intra-muros, on pouvait compter plusieurs milliers d’habitants. De plus, la ville régnait sur un territoire difficile à établir mais faisant au minimum 25 km de rayon”. Ce que l’on a du mal à s’imaginer aujourd’hui dans ce paysage rural verdoyant…

Les fouilles ont révélé au moins cinq grands bâtiments sur les hauteurs du mont Lassois. Dont l’un présenté comme le “palais de la dame de Vix”. Ces bâtiments logeaient peut-être les aristocrates, tandis que plus bas vivait le reste de la population. Certains scientifiques se demandent si la ville n’était dotée… d’un port sur le fleuve (d’une largeur de… 6 à 8 m à cet endroit).

Jonathan PIRIOU

septembre 23rd, 2019

No comments

Comments are closed.